You can let him get through you
LONDRES, 3 août. Ma valise est grande ouverte sur mon lit. Je cherche à y faire entrer une énième paire de chaussure pour mon grand départ, sachant déjà que je n’en ai pas besoin. Je pars à New York, pas Tombouctou. Si je veux une nouvelle paire de bottes je n’aurai pas de difficulté à en trouver.
« Es-tu certaine de ton choix ?» Me demande pour une seconde fois ma mère depuis le pas de ma porte.
Je ne prends pas le temps de relever. Elle sait pourquoi je veux partir. Trois ans de relations terminées parce que monsieur décide qu’il veut vivre sa vie, sans moi. Comme si je l’étouffais, comme si ma présence impliquait qu’il devait se priver de vivre. Voilà plusieurs semaines que j’ai appris la nouvelle et je me suis dis que je ne me laisserais pas avoir. Pas questions de revenir l’ex petite amie qui se morfond quand lui passe tout son temps à sortir et à « rattraper le temps perdu ». Je n’ai pas besoin de lui et je réalise que je n’ai pas besoin de personne. Tous mes amis, en réalité, ce n’étaient pas mes amis. Ils étaient ses amis. Rapidement, la peine a fait place à la frustration. J’étais en colère contre moi de m’être laissée menée par le bout du nez. En colère d’avoir reposé tous mes espoirs en une seule personne qui n’en valait pas la peine. D’avoir cru que d’être amoureuse était l’atteinte du plus haut niveau de bonheur, que l’amour était la seule chose dont on a besoin pour être heureux.
Bullshit. Je m’assieds sur mon lit après avoir retiré la paire de botte encombrante de ma valise. Ma mère vient se joindre à moi et nous restons silencieuse. C’est la seule personne qui me manquera lors de mon stage à l’étranger. Je viens de terminer mes études, mais je décide d’obtenir de l’expérience dans une boite de publicité américaine. Rien de mauvais pour le CV.
J’ai pris la décision de partir, puisque plus rien ne me retiens ici. Je n’ai pas d’amis proche et je dois prendre le temps de découvrir. Pendant trop longtemps, j’ai dédié mon temps à celui qui ne faisait que prendre sans rien me donner en retour. Je veux être égoïste et ne penser plus qu’à moi.
Je pose la paire de bottes de trop dans une boîte avant de la ranger au fond du garde-robe. J’y range aussi la petite fille sage et naïve qui croyait au prince charmant. Elle ne fait pas partie du voyage.
Or you choose not to care.
NEW YORK, 29 décembre. J’éteins ma cigarette nonchalamment dans une assiette disposée sur le rebord de la fenêtre. Les genoux contre moi, je regarde les premiers rayons de soleil se lever, baignant la ville dans une lumière orangée aux touches féériques. Déjà, elle se réveille, mais a-t-elle seulement endormie ? L’effervescence, le mouvement perpétuel et le changement constant sont les éléments qui m’ont attirée ici. Ma main balaye rapidement l’air afin de dissiper un peu la fumée. Heureusement, la fenêtre permet à une légère brise glacée d’entrer dans le salon, de même qu’un peu de lumière matinale. Suivant une trajectoire toute tracée, je me dirige vers mon sac, qui se trouve sur le sofa du salon, puis dans la chambre pour récupérer mes vêtements de la veille, ou d’il y a quelques heures pour être plus exacte. Rapidement j’enfile mon jean, me repasse ma blouse sans prendre la peine de mettre mon soutien-gorge et attache mes cheveux d’une queue de cheval bien serrée. Une fois l’assiette dans l’évier, je sors de l’appart de celui que je ne reverrai probablement pas de si tôt pour me diriger je ne sais où. J’attrape mon manteau d’hiver et mes bottes puis referme la porte en catimini. La ville est encore toute tranquille et je n’ai pas envie de rentrer chez moi. Pas tout de suite.
Après quelques minutes de marche j’arrive devant la première entrée du métro, mais je continue mon chemin. J’ai beau n’avoir pas dormi du tout, je me sens plus vivante que jamais après cette nuit plus que torride. Normalement, les histoires sans significations ne sont pas vraiment mon quotidien, mais après plusieurs semaines à toujours le croiser au même bar et de longues nuits passées seule, je n’ai pas pu résister et lorsqu’il m’a demandé sortir. Lorsqu’il m’a demandé de venir chez lui après un verre je n’ai pas su dire non. Je n’ai pas de regrets, la vie est trop courte pour ça, mais je n’aime pas flancher. Je n’ai pas envie que certains pensent qu’ils ont mon attention alors que ce n’est pas le cas. Encore moins mon cœur. D’ailleurs, je pense avoir perdu le mien entre la traversée de Londres à New York.
Une trentaine de minutes plus tard, je tourne ma clef dans ma serrure pour mettre les pieds dans mon nid. Aussitôt déchaussée je me dirige vers la douche pour laver la fine pellicule de sueur recouvrant mon corps, ainsi que toutes les odeurs différentes qui se mélangent sur ma peau. Il n’y a rien de plus sensuel qu’une odeur d’homme, mais pas sur une femme. Du moins, pas sur moi. Je me savonne lentement, appréciant la caresse que l’eau chaude procure à ma peau et prend une bonne respiration afin de profiter de l’odeur de mon savon rose à paillettes. Au bout de quelques minutes j’en sors puis je retourne vers ma chambre où j’enfile un vieux t-shirt et me glisse sous les draps pour profiter de quelques heures de sommeil bien méritées. Le soleil continue de nourrir la chambre de sa douce luminosité, mais cela ne m’empêche pas de dormir.
*
Les semaines se sont succédées et le départ est arrivé.
C’est une Emilia toute différente qui est partie de son pays natal.
C’est une Emilia encore plus différente qui a posé les pieds à Londres à son retour.
Son chapitre avec cette ville était terminé depuis trop longtemps pour tenter de s’y intégrer à nouveau. Et si on recommençait…. Encore ?
Break my heart? I’d like to see you try.